Êtes-vous chiffres ou résultats ?

Les « bons chiffres » ne rassurent pas vraiment les dirigeants anxieux, pas très longtemps. « Les bilans, me répétait le gérant d’une start-up, les bénéfices comptabilisés, c’est le passé. Ce qui me préoccupe, moi, c’est l’avenir, c’est le carnet de commandes. »
Pourtant, les chiffres des exercices précédents peuvent être prédictifs : dessiner l’avenir. Une croissance consolidée sur plusieurs années augure-t-elle du développement futur ? Immanquablement, nous extrapolons. Pour anticiper, pour projeter. Mais parfois aussi,
seulement pour se « raconter des histoires ».

En comité de direction, la directrice de la filiale allemande donnait ses chiffres. Sa filiale était en perdition depuis deux ans. Mais cette fois-là, les chiffres étaient bons, une légère croissance du chiffre d’affaires depuis deux mois. Réjouie, elle prophétisait un avenir souriant. L’intervention du PDG lui fit l’effet d’une douche froide. « Moi, objecta-t-il, je ne crois pas  du tout que ta filiale soit désormais sur la bonne pente. Tu fais les mêmes choses depuis deux ans et tu les fais de la même façon. Il n’y a donc aucune raison pour que les résultats s’améliorent. »

Les chiffres, le PDG n’y croyait pas.
« Tes chiffres des deux mois passés ne sont que des chiffres, pas un résultat. Ils sont circonstanciels et pas le résultat d’une initiative, d’une décision, d’un changement de pratiques réfléchi… Ils ne sont donc pas durables. »

Dans l’esprit de ce dirigeant, seuls les chiffres qui découlent logiquement d’un plan d’action réfléchi sont éligibles comme « résultats ». Selon lui, il n’y a de véritables résultats que dans les chiffres prévus, des chiffres qui correspondent à un objectif dont on s’est donné les moyens. La communication par les chiffres, ou autour des chiffres, aurait donc ses chaussetrappes. Dont l’investisseur avisé se méfie… Il y échappe en analysant avec tout entrepreneur les raisons des bons chiffres et celles des mauvais chiffres.

Et si les chiffres n’étaient pas tous des résultats ? Et si la distinction entre ces deux notions, « chiffres » et « résultats », nous permettait de mieux piloter nos projets ? De dépister les faux semblants, les données en trompe-l’oeil ?

La psychologie sociale a décrit depuis longtemps le biais d’attribution : nombre d’entrepreneurs s’attribuent les mérites des bons chiffres – et attribuent les mauvais chiffres à des circonstances extérieures !

Les chiffres sont mauvais ? L’entrepreneur les expliquera par les circonstances, par les hasards de la vie économique ou les caprices du marché. Peut-être a-t-il raison. Peut être non. Seule une analyse lucide permettra d’en décider. Il se trompe ou vous trompe si ces mauvais chiffres étaient prévisibles en regard de ses pratiques et actions, s’ils en sont le résultat logique.

Les chiffres sont-ils bons ? Spontanément, l’entrepreneur s’attribue les mérites de ces chiffres qui sont peut-être seulement circonstanciels : comme le CA d’un nouveau commercial dont les pratiques sont insuffisantes, mais qui a eu la chance de décrocher
une « grosse affaire » dès son deuxième mois d’activité. Un an plus tard, on regrettera de l’avoir recruté. Les chiffres qui ne correspondent pas à une logique de l’action sont en trompe-l’oeil. Qui ne les analyse pas s’expose à de profondes déceptions.

Les chiffres récents sont bons et l’investisseur s’en réjouit avec l’entrepreneur. Mais ne s’en satisfait pas. Il veut des résultats, et pas seulement des chiffres. Si bons soient ces derniers, il garde un regard critique sur un management inconséquent, sur des actions commerciales inappropriées, sur une gestion approximative… Il incite à des évolutions qu’il juge indispensables.

Les bons chiffres affichés sont un piège sournois : ils peuvent dissimuler les réalités du travail, le futur qui se prépare sous le leurre.
– « L’avez-vous remarqué, souligne un entrepreneur, ce mois-ci, notre BFR a diminué.
– Bonne nouvelle approuve l’investisseur. Et dites-moi, interroge-t-il, bien au fait des
réalités concrètes de cette entreprise, dites-moi, où en sommes-nous avec les stocks de
composants ?
– Ils ont diminué, nous venons de livrer une grosse commande. L’impact sur les stocks
est de plus de 1 M€ ! Cela explique la baisse du BFR.
– Extra, et les créances clients ?
– Elles ont fortement augmenté… C’est pourquoi la baisse du BFR est limitée à 0,3 M€…
– Et elle est temporaire. Nous devons rapidement reconstituer nos stocks ! »
La vérité des chiffres est parfois la vérité d’un seul jour.