Evoquer la confiance, paradoxalement, c’est reconnaître l’existence d’une incertitude. D’ailleurs, s’il est une chose que les investisseurs et les dirigeants partagent d’emblée, généreusement et dès leur premier contact, c’est bien le doute. Certes, le pacte s’efforcera de lever les ambiguïtés, de préciser les droits et devoirs de chacun. Mais on le sait, les contrats sont toujours incomplets. Ils ne peuvent obliger les attitudes des signataires, leur bonne volonté, la sincérité. Signer un contrat, c’est faire œuvre de confiance, un pari sur la qualité de la coopération future au-delà de sa codification juridique.
Car s’ils conviennent d’un accord, investisseur et dirigeant dépendront dans une large mesure l’un de l’autre. Pour l’entrepreneur notamment, céder de son capital, c’est céder de son autonomie. Soucieux de convaincre, l’investisseur fera état d’éléments objectifs. Chiffres et références argumenteront son éligibilité auprès de son interlocuteur. Mais restera la question, décisive, de la confiance personnelle.
Il convient de distinguer la confiance de compétence et la confiance intentionnelle. La confiance de compétence peut dans une large mesure procéder d’une évaluation objective (diplômes, expériences et résultats antérieurs). Mais nous sommes moins armés lorsqu’il s’agit d’étayer notre confiance dans les intentions d’autrui, dans sa volonté d’agir au mieux des intérêts communs et dans le respect de ses engagements, avec loyauté. C’est alors à la personne que nous devons faire confiance, à l’homme.
Ce dirigeant s’émerveillait encore d’avoir rencontré un tel investisseur, puis de l’avoir choisi, lui et pas un autre:
« Nous avons quasiment le même âge. Ses enfants étudient aux USA comme les miens. Il fait du kite, moi aussi. Cela crée des liens. »
Comment susciter cette confiance interpersonnelle ? En se présentant à une personne comme une personne digne de confiance !
Pour simplissime qu’elle soit, cette réponse ne va pas de soi – mais vraiment pas de soi – dans ses implications comportementales.
Récemment, lors d’une présentation du management, j’ai vu un investisseur rompu à l’exercice parler brillamment de la société de gestion, des différents fonds gérés, des moyens mobilisés pour accompagner leurs participations… sans même percevoir que son interlocuteur, le dirigeant, évoquait, lui, sa jeunesse, la région où il avait grandi, ce qu’il avait envie de vivre après l’opération… Notre investisseur imperturbable continuait de s’en tenir à des informations factuelles, objectives, en rien subjectives, muettes sur le sujet qu’il est, sur sa personne.
En se présentant comme une personne ! La personne est plus que la personnalité sociale, plus que la persona. En latin, le mot persona désigne le masque porté par les acteurs de théâtre. Ces masques étaient en nombre limité et correspondaient à des caractères types. Pour les spectateurs, ils étaient prédictifs des comportements de chacun! Pour prendre une décision, vous ne vous fiez pas aux masques ? Vos interlocuteurs non plus ! Qui vous fera confiance – humainement confiance – s’il ne vous rencontre pas en tant que personne, si vous ne tombez pas le masque ?
La construction d’une relation de confiance interpersonnelle suppose que chacun rencontre l’autre comme une personne à part entière : sans le réduire à son rôle d’agent économique, à sa fonction sociale…
Vous favoriserez une telle rencontre en multipliant les échanges informels, des moments de convivialité où vous mettrez en veille votre sourcilleux sens des objectifs, où vous stimulerez les propos étrangers à votre projet financier, où vous parlerez de vous, du vin que vous dégustez, du repas que vous partagez… Ainsi, vous encouragerez votre interlocuteur à tomber lui aussi le masque, à vous entretenir de ses centres d’intérêt, de sa vie en général, de lui en somme… C’est le small talk cher aux Américains : vous y découvrirez beaucoup de l’autre – vous avez beaucoup à y gagner – et lui découvrira beaucoup de vous – qu’avez-vous à y perdre ? N’êtes-vous pas une personne digne de confiance ? Qui gagne à être connue ?
Ce n’est pas intuitif, pourtant, puisque ne pas cacher ses faiblesses à un interlocuteur, c’est lui faire confiance, c’est du même coup lui inspirer confiance ! Mais, pour se montrer vulnérable ou imparfait, pour évoquer ses erreurs passées, il faut bénéficier d’une belle confiance en soi !
Alors, vous, franchirez-vous le pas ?